retenue
du 01/06 au 30/09
2018
dans les sites des barrages hydrauliques de Bort-les-Orgues, de l’Aigle et du Chastang, en Corrèze, sur une invitation d’EDF.

D’UN CADRE L’AUTRE

TEXTE DE TOM LAURENT


Je ne pense pas qu’en arpentant pour la première fois les barrages de Bort-les-Orgues, du Chastang et de l’Aigle sur la Dordogne, Benoît Géhanne avait une idée précise de ce qu’il allait y faire. Sans doute ce premier contact s’est-il prosaïquement opéré à travers l’écran d’un ordinateur, en faisant défiler photographies, informations techniques et rappels historiques quant à ces trois sites, étendant leur appréhension à d’autres réalisations du génie civil, soit une somme de données différant de celles offertes par une visite sur place. Ce qui me paraît évident, c’est qu’il a cherché un écho à sa propre pratique dans ces ouvrages, leur fonction et leur inscription dans l’environnement. Et plus encore, qu’il a vu dans cette expérience – celle d’exposer son travail dans ces sites industriels en activité – une opportunité d’explorer plus avant la relation entre objet technique, trouvant sa raison dans sa fonction, et son propre travail.
Discutant de la place de ces barrages dans le territoire, Benoît Géhanne m’en a décrit l’aspect autoritaire, artificiel, comme relevant d’« un geste qui barre le paysage ». Et de fait, produisant fortuitement du cadre. Morcelant un continuum, l’édifice de béton s’adjoint paradoxalement ce qui vient l’« encadrer » – les flancs des montagnes – tout comme il instaure une différenciation très concrète entre l'amont et l'aval pour le cours d’eau. Dans sa série des Reculs, entamée en 2015, avant sa venue sur site, la surface en aluminium du support est ponctuée de fragments peints, s’enchevêtrant l’un et les autres en autant de plans qu'il faut pour induire une profondeur. Miroir contrarié où se reflète l’espace d’exposition et trouées pour le regard se heurtant vite à des pans de peinture, la virtualité d’une troisième dimension y est comme « rabattue » dans une perception frontale, et inversement.

D’un cadre l’autre. Au Chastang, l’observation d’un plan technique affiché dans la vaste salle des alternateurs – une « coupe verticale par l’axe d’une prise d’eau » – projette cet immense espace dans une toute autre dimension, en démultipliant les échelles et l’inscrivant dans une suite de relations mécaniques. S’ils n’ont pas vocation à décrire ces sites, les Retenues en conservent des vues fragmentaires, accentuent la logique de flux guidant le regard de proche en proche et l’idée que le mode de distribution des motifs sur le support reste tangible. Comme un plan, les Retenuesoffrent un mode d’emploi visuel, mais pour elles-mêmes, encore une fois « rabattu » sur la compréhension de l’espace qu’elles ouvrent, et pour la déambulation mentale qu’elles initient.
Certes, les papiers imprimés, découpés et dépliés des Examens revisitent les maquettes servant à simuler l’influence de l’eau lors de la construction des barrages, les Projections peintes à même la paroi intérieure du site du Chastang trouvent une parenté avec la forme de la poussée d’eau sur la courbe de leur crête, l’aluminium peint des Retenues dialogue avec le métal d’une plaque commémorant la résistance aux nazis des constructeurs de celui de l’Aigle, ... Mais chez Benoît Géhanne, l’analogie formelle liant ses productions et les objets techniques n’est pas le signe d’une volonté de traduire une beauté industrielle décelée sur place. Elle dérive plutôt de son attention aux allers-retours entre sa venue sur les différents sites et son travail en atelier, aux déplacements et aux relations entre la logique fonctionnelle et celle d’une œuvre. Elle institue un regard dynamique, où ces deux logiques se prolongent et trouvent leur échappée l'une en l'autre. 

« La voilure d’un navire n’est pas belle lorsqu’elle est en panne, mais lorsque le vent la gonfle et incline la mâture tout entière, emportant le navire sur la mer »
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (1958)


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